Le 5 avril 2013, l’un des plus vieux habitants de Godinne (Province de Namur), et originaire d’Annevoie décède. Auguste Wilmart s’est éteint paisiblement à 92 ans. Comme voisin, je garde le souvenir d’un homme tranquille, affable et discret, prodiguant des soins attentionnés à son épouse et s’occupant de son jardin.
Ce que tous ses voisins ignoraient, c’est son passé de Résistant. Ce citoyen hors pair a préféré rester discret sur cet épisode de sa vie ; sa famille n’en connaissait pas davantage ? Il n’a jamais estimé utile d'attirer l’attention sur son activité durant la guerre : il n’avait fait que son devoir !
Pourtant, un jour d’été, alors qu’il passait devant moi, il s’arrête pour souffler un coup et me révèle un secret : « son » secret ? Il me parle de sa reconnaissance A.R.A. par la Sureté de l’Etat (Agent des Services de Renseignement et d’Action). Et pour preuve, il sort de son portefeuille une vieille carte dûment estampillée. Je ne savais même pas de quoi il s’agissait. D’ailleurs, qui parle encore aujourd’hui de ces services dits du renseignement et de l’action ?
Oui, « mon » facteur a commencé à récolter à 21 ans des informations à caractère militaire. Oui, il était un maillon secret mais efficace d’une chaîne d’informateurs sur les mouvements de l’envahisseur. Oui, un citoyen engagé et responsable qui n’a pas attendu que les autres fassent quelque chose pour que cela change. Oui, c’est lui anonymement qui a agi. Les informations de mon facteur arrivaient à Londres grâce à une chaîne incroyablement efficace.
Tout a débuté me confie-t-il en 1942, quand l’ennemi lance le travail obligatoire. Les jeunes sont convoqués pour aider en Allemagne la production de guerre. Facteur à Annevoie, il y échappe et dispose d’une autorisation de circulation libre (Ausweis). Pourquoi ne pas utiliser cette large autonomie de circulation pour autre chose de bien plus utile ? Il se met à la disposition du Réseau de Renseignement Tempo.
Vous comprenez déjà que dans son sac se retrouvent quelques messages très importants mélangés à des lettres qui le sont moins à ses yeux. Il se souvient de renseignements qui concernaient le trafic aérien autour de la base militaire de Florennes, pour ne citer qu’un type de courrier très spécial, mais combien important ! Sa mission est simple : déposer les documents à une adresse précise sans poser de question. C’est un de ces maillons anonymes dans le chemin vers les Alliés basés à Londres qui passe par la Belgique, la France et l’Espagne …
Sa mission est très importante : il porte un révolver mais ne dût jamais s’en servir, me confie-t-il ? Dénoncé par quelque misérable vendu à l’ennemi, Auguste Wilmart doit fuir et se cacher pour ne pas être arrêté. Il a eu de la chance, il ne le sera jamais. Mais mon facteur se sent poussé par son devoir de citoyen responsable. Brûlé ici, il s’engage ailleurs : l’Armée Secrète l’accueille fin 43. Son principal terrain d’activités devient la vallée de la Meuse et Maredret. En juin 44, à l’approche de la Libération, les membres de son secteur reçoivent l’ordre de rassemblement à Annevoie-Rouillon où des armes leur seront remises. Elles n’arriveront jamais car après la guerre, il apprendra que d’autres objectifs ont reçu la priorité.
Mais les engagements évoluent : Il reprend du service au Corps des Forestiers en avril 45 et participe au « nettoyage de la Meuse », c'est-à-dire à l'enlèvement des obus et munitions de toutes sortes qui s'y trouvaient engloutis. Une telle activité n’était pas non plus sans danger. « J'ai terminé la guerre sans avoir jamais tiré un seul coup de feu » m'avoua-t-il en riant !
En 1946, mon facteur tourne la page : il redevient facteur, mission accomplie. Il reçoit deux décorations pour services rendus à la patrie : la Médaille Commémorative de la Guerre 1940-1945 et la Médaille de la Résistance, … et obtient la reconnaissance A.R.A. (Agent des Services de Renseignement et d’Action) dont il est fier de montrer cette carte froissée, un véritable trésor, conservée près de son cœur.
Oui, Auguste Wilmart, mon facteur, a été l'un de ces informateurs, combattants de l’ombre, un de ces illégaux qui sera légalisé après la guerre, un maillon d’une chaîne vers Londres. Un citoyen comme vous et moi, que rien n’obligeait à agir de la sorte. De plus, il n’ignorait pas le sort qui lui aurait été réservé s’il s’était fait prendre pas la Gestapo : torture pour lui faire cracher le nom de ses complices et à coup sûr, le peloton d’exécution après la déportation vers un Camp de Concentration.
Voilà l’exemple d’un citoyen responsable qui vivait parmi nous : il nous montre le chemin de la citoyenneté quand plus rien ne va. Modeste Agent Auxiliaire des Services de Renseignement et d’Action, il a contribué à la victoire : il faisait partie de ces 18.716 Agents reconnus par la Sureté de l’Etat après des enquêtes sévères et fouillées qui feront dire qu’aucun autre mouvement de résistance n’aura été autant contrôlé.
C’est grâce à des personnes comme lui que nous vivons aujourd’hui dans un pays libre et démocratique.
En 2014, nous fêterons le centenaire de la Grande Guerre de 1914-1918 où déjà s’étaient illustrés des citoyens informateurs hors pair, comme Edith Cavell, Gabrielle Petit, Marguerite Bervoets, et Dieudonné Lambrecht qui va créer le Réseau La Dame Blanche, aussitôt repris après son arrestation par un Géant de la Résistance en 40-45, Walthère Dewé qui fondera la Réseau Clarence.
N’oublions jamais le comportement citoyen de ces Agents : ils nous montrent le chemin à suivre aujourd’hui, en pleine crise … c’est à nous d’agir sans attendre que les autres le fassent pour nous.-